Au bon air des jardins (18e-21e siècles)
Colloque « Au bon air des jardins »
15 et 16 octobre 2024
École de la Nature et du Paysage, Blois (INSA Centre Val-de-Loire)
Au XIXe siècle, Maupassant décrivait la canicule
parisienne et vantait déjà la fraîcheur à l’ombre des arbres en écrivant que «
c’était une nuit sans vent, une de ces nuits d’étuve où l’air de Paris
surchauffé entre dans la poitrine comme une vapeur de four. Une armée de
fiacres menait sous les arbres tout un peuple d’amoureux » (Bel ami). Si les
fiacres ont disparu, nul doute que les promenades, parcs et jardins restent des
lieux appréciés en période de canicule pour des citadins à la recherche de "bon
air".
Le colloque vise à nourrir une réflexion générale sur l’air et le climat sous
le prisme socio-spatial des parcs et jardins urbains publics en France comme
dans le reste du monde. Il a pour objectif de montrer si ces espaces sont
marqués par des évolutions et transitions géohistoriques communes ou, au
contraire, différentes dans les enjeux liés à l’air et au climat (Corbin 1982 ;
Metzger 2018 ; Brassart et al. 2022). Afin de favoriser le dialogue
disciplinaire, l’appel est ouvert en SHS : géographie, géohistoire, histoire,
histoire de l’art, aménagement, architecture, projet de paysage, political
ecology, sociologie…
Argumentaire : L'air et le climat au cœur de la fabrique du jardin public en
ville
Les parcs et jardins publics connaissent plusieurs vagues d’ouverture au
XVIIIe siècle. Comme l’écrit Franck Debié, ils répondent à plusieurs objectifs
: « aérer, rafraîchir, nettoyer, permettre le repos, voilà fixés les objectifs
du premier jardin public» (2002). Ils ont en commun à la fois des métamorphoses
et une certaine continuité de leurs fonctions sociales et écologiques (Mathis
et Pépy 2017 ; Musée historique de Lausanne 2022). Nous les envisageons pour ce
colloque dans toute leur diversité mais dans la mesure où ils sont bien ouverts
au moins une partie du temps à un grand public et où ils sont connectés à la
ville, en incluant les « bois » proches des villes, les cimetières et les
jardins botaniques notamment dans les Empires (Blais 2023). Réputés comme des
refuges d’air pur depuis le XVIIIe siècle dans des villes jugées malsaines
(Lefay 2015), ils sont devenus récemment des îlots de fraicheur dans des villes
fortement marquées par les canicules, et plus généralement par le changement
climatique.
C’est cette approche géohistorique que le colloque souhaite mettre en avant en
ouvrant des perspectives de dialogues féconds entre le passé, le présent et le
futur de ces espaces aménagés pour accueillir le public ou ouverts au public à
un moment de leur histoire. Y a-t-il eu par exemple des discours ou pratiques
spécifiques liées à l’air dans les parcs et jardins selon les lieux, les
tendances politiques ? Pourquoi certaines périodes sont-elles plus favorables
que d’autres dans la prise en compte de cet enjeu ? Quelle place spécifique a
été donnée aux parcs et jardins lorsque la voiture est devenue de plus en plus
présente en ville notamment après la seconde guerre mondiale ? Ces espaces
ont-ils été des lieux d’expérimentation pour étudier la pollution de l’air
(Escourrou 1991) et le réchauffement climatique ?
De l’aérisme et l’hygiénisme à l’écologisme et au changement climatique,
comment les discours, les aménagements et les pratiques ont-ils évolué dans ces
espaces de verdure urbains ? Quelles sources sont disponibles pour l’aborder ?
Quels liens sont à faire entre l’histoire urbaine et celle des jardins, et ce
dans la perspective climatique du colloque ? L’imaginaire lié au bon air ou au
bon climat a-t-il guidé la localisation, les aménagements ou certaines
fonctions des jardins ? Comment le bon air des jardins s’oppose-t-il à l’air
vicié des eaux stagnantes et des eaux usées, quelles autres formes d’eau ont
été mises en avant en fonction de leur lien avec un bon ou mauvais air ? Les
propositions discuteront également des injonctions au bon air, avec une
réflexion critique par exemple sous l’angle de l’évolution des prix du foncier
à proximité des parcs et jardins. Le bon air est-il source d’inégalité
environnementale et de conflictualité urbaine ? Participe-t-il de processus
d'écogentrification ?
Les interventions proposées s’appuieront sur les axes suivants, sans s'y
restreindre et pourront porter sur une période très précise, ou adopter une
approche plus transversale.
Axe 1 - Les enjeux sociaux et sanitaires des parcs et jardins
Seront ici mis en avant les points de convergence et de divergence
entre les points de vue des créateurs des jardins, dans leur prise en compte
des effets sanitaires de l’air. Comment les parcs et jardins se sont-ils
construits lorsque les préoccupations sociales et sanitaires favorisaient ces
poumons verts dans les villes (Rahm 2023) ? Alors que santé publique et santé
individuelle se discutent dans l’histoire, dans le cadre d’une diffusion du
néohippocratisme et de l’hygiénisme, les jardins en sont-ils le réceptacle
territorial ? Quelle place est accordée par ailleurs aux eaux courantes et
stagnantes dans ces parcs et jardins en lien avec l’air ? Les interventions
analyseront par exemple les topographies médicales urbaines qui essaiment au
XVIIIe et XIXe siècles (Maillard 2003 ; Barles 2013) pour voir quelle place
occupent les parcs et jardins publics. Il s’agira également d’envisager comment
les pratiques habitantes de ces espaces ont évolué à la lumière des nouveaux
enjeux climatiques, notamment en lien avec leur bien-être (Bourdeau-Lepage
2019). Le mouvement sportif qui connaît un essor important dans l’entre-deux
guerres accorde-t-il une place particulière aux parcs et jardins comme lieux de
pratiques d’un exercice physique dans un air sain ?
Axe 2 - Promouvoir la ville aérée et fraîche à travers les parcs et
jardins
Cet axe vient discuter la promotion politique et savante des parcs et
jardins, mobilisée par différents acteurs. Comment ces discours sont-ils
construits et par quels acteurs sont-ils portés depuis le XVIIIe siècle ? Quel
vocabulaire a été mis en avant (poumon vert, espace vert, îlot de fraicheur…) ?
Comment les images des plans de jardins, des cartes postales, affiches,
brochures touristiques ou documents politiques ont-elles évolué, pourquoi,
selon quels contextes sociaux, culturels et scientifiques ? D’une manière
générale, quelles représentations (littéraires, picturales…) liées à l’air et
au climat entourent les jardins et quelle est leur évolution temporelle ? De
même, ces représentations connaissent-elles des variations spatiales suivant
les villes et les États ? Montrent-elles également, au sein d’une même cité,
des différences relevant des groupes culturels et sociaux ? Les interventions
mettront en avant des comparaisons entre différentes politiques
(métropolitaines, nationales…) et s’intéresseront à l’urbanisme écologique
(Salomon Cavin et Granjou 2021; Oillic, Yengué, et Génin 2012 ; Rode 2023). Le
contexte géographique semble avoir une importance puisque d’autres espaces de
bon air existent près des villes. Le bon air des parcs et jardins se
compare-t-il au bon air des montagnes, du littoral, de la campagne, à d’autres
espaces de bon air dans les villes ? Plus généralement, les propositions
examineront comment les politiques d’adaptation au changement climatique
s’appuient de nos jours sur les parcs et jardins publics pour favoriser leur
rôle en tant qu’acteurs du rafraîchissement.
Axe 3 - La conception des jardins publics urbains au prisme de l’air et
du climat
Comment les aménagements des parcs et jardins ont-ils évolué au gré des
discours et expertises scientifiques sur l’air et le climat ? Dans cet axe,
l’attention sera portée aux essences plantées mais aussi à l’organisation
spatiale des jardins qui accompagne ces discours pour favoriser, par exemple,
la libre circulation de l’air, les ombrages ou la présence de l’eau
rafraîchissante. Existe-t-il des liens entre ce bon air et les enjeux liés à
l'eau, ses aménagements et ses usages, dont ses éventuelles pénuries en
contexte de changement climatique (PUCA 2018) ? La présence de l’arbre en
particulier, en tant qu’acteur du rafraichissement, sera discutée : comment les
arbres (et quels arbres) appuient-ils les discours et aménagements liés à
l’air, au climat et au réchauffement climatique (Oghina-Pavie, Taïbi, et
Trivisani-Moreau 2017) ? Cet axe interrogera plus spécifiquement les projets de
paysagistes-concepteurs qui mettent en avant la fraicheur désirée de ces
espaces publics urbains (Delabarre 2023; Allagnat 2022), tout en intégrant des
dimensions critiques par exemple sur la forêt urbaine ou l’arbre de pluie
parfois affichés comme des panacées (Péna 2016). Les interventions se
focaliseront aussi sur les pratiques des usagers qui influencent la conception
et les aménagements (tracé des allées, assises…). Le dessin du jardin est-il un
dessein social et politique, selon des conceptions liées à l’air et au climat ?
En s’inspirant des travaux portés à la fois en histoire et (géo)histoire
environnementale (Valette et Carozza 2019), géographie, aménagement et
political ecology (Depietri et al. 2016), ce colloque propose donc mettre donc
en regard comment certaines préoccupations liées à l’air et au climat se sont
construites et déconstruites au fil du temps dans les parcs et jardins publics
urbains. Il s’insère dans le projet éponyme financé par la MSH Val-de-Loire
(2023-2024) et vise à fédérer un réseau de recherche plus large pour envisager
les suites de ce projet interdisciplinaire. Le nom du projet est inspiré d’un
projet de recherche mené par Claude Reichler (Université de Lausanne) sur le
bon air des Alpes.
Modalités de soumission
Les propositions de communication (500 mots) doivent être soumises pour
évaluation sur le site sciencesconf (https://bonairjardins.sciencesconf.org/)
au plus tard le 30 juin 2024. Une réponse sera donnée à la mi-juillet.
Les propositions retenues pourront donner lieu à une publication dans un
ouvrage collectif. Les chapitres seront à soumettre courant 2025.
Modalités pratiques
Le colloque aura lieu à l’École de la nature et du paysage – INSA CVL, à
Blois, les 15 et 16 octobre 2024.
Le logement et le déplacement seront à la charge des intervenants. Une
participation de 40 euros sera demandée pour couvrir les frais d’organisation
dont les deux repas du midi.